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P'T Rex | Le soin aux choses

P'T Rex | Le soin aux choses

Notre traditionnel rendez-vous consacré à la revue de presse nous a mené.e.s vers un article de Reporterre : “On a désappris aux gens à faire durer les choses”, une lecture passionnante autour d’une notion star : le soin. Aussitôt, nous avons été attiré.e.s par les multiples fils à tirer, pour filer l’idée du soin à l’échelle de notre équipe de conseiller.e.s en aménagements écolos/durables/soutenables/vivants (choisissez votre mot).

Qu’on aménage ou qu’on ménage, dans nos métiers, le soin a de quoi faire parler : on s’est demandé.e.s si on accordait suffisamment de temps, d’entretien, d’attention à ce qui occupe notre quotidien professionnel. Les livrables d’abord, puis les espaces et les lieux, et pour finir, le vivant et les personnes. Cependant, nous sommes bien plus incité.es à des commencements héroïques qu’à des maintiens discrets. Alors de quoi faisons nous le choix ?

Soigne-t-on vraiment ce que nous produisons ? Matière grise et carbone gris.
D’abord un aveu, nous n’avons pas dénombré notre temps passé à la mise noir sur blanc police 12 de nos stratégies 2030, pactes promoteurs et autres prescriptions… versus notre temps passé à lire les livrables existants, écouter les résistances, entretenir l’envie de moins et de mieux.
Ensuite, considérant le fruit indirect de notre métier : les routes, les bancs, les bâtiments, les fenêtres, cela fait plusieurs années que le “souci du déjà-là”, la “conservation de l’existant” ou la “mémoire du lieu” font chics et que nous prêchons pour cette mode essentielle. Il y a tant à faire pour transformer cette pensée en tendance de fond : entretenir et cesser de produire ; cela nous inspire un remerciement sincère à Hugo Topalov et Clara Simay (qui nous ont formé récemment au réemploi).
Le soin reste un peu plus facile à dire qu’à faire (surtout quand il s’agit d’entretenir ce qu’un.e autre a produit, mais attendez la suite car abandonner son égo permet d'accueillir du beau).

Qu’est-ce que nous apporterait plus de soin envers notre production et celle des autres ? La qualité plutôt que la quantité : en amitié comme en aménagement, l’adage ne perd pas de son crédit.
Au delà de la nécessité de s’accorder du temps pour faire les choses, le fait de les envisager sous l’angle de la maintenance les rend aussi beaucoup plus singulières : Apprivoiser notre production et celle des autres donne du relief (même à des documents pdf parfois très aplatis).
A partir de ça, on comprend aussi que l’acte de rénovation des bâtiments est loin d’être une activité qui conduit à l’ennui. Elle est certes moins héroïque, fort éloignée du grand geste architectural ; mais le fait de s’inscrire dans un cadre conçu par d’autres, et d’y apporter son soin modifie largement l’expression créative, loin de la contraindre. La maintenance donne par exemple un tout autre crédit au métier d’architecte, regardant ce qui est déjà-là et ce dont il dispose pour prolonger la vie du lieu.
Dans nos métiers, c’est aussi faire avec l’existant humain : celles et ceux qui sont au plus proche des besoins. Les associer pleinement à nos travaux, c’est s’assurer que la petite flamme de la maintenance sera entretenue, car les habitant.es, présent.es ou futur.es, sont celleux qui seront le plus à même de connaître leur (mi)lieu, leur porter un affect, et savoir comment l’entretenir.

Dans nos missions, comment se soucie-t-on de faire exister le soin ?
Dans nos missions, on peine à faire valoir la maintenance comme une réelle plus value. Par exemple, à Bongraine (notre ZAC préférée, machine à re-questionner), nous travaillons dans un cadre où un grand écart existe entre budget d’étude et budget de travaux. De même, entre les subventions à l’investissement et les subventions au fonctionnement (au fond à la maintenance) qui implique beaucoup plus d’humain.e.s !
Dans le même ordre d’idée, nous avons récemment clôturé une mission explorant les possibilités du métier d'éco gestionnaire à Paris : une personne chargée de créer du lien autour des enjeux écologiques dans un quartier, de faciliter l’engagement local et quotidien. La commande de départ demandait à ce que ce métier soit assorti d’un modèle économique qui lui permette de s’autoalimenter. Pourtant, une activité liée au soin peine à produire son propre salaire. L'évaluation de l'expérimentation de ce métier nous permet progressivement d'invalider cette perspective de rentabilité : il s'agit en effet d'une activité relevant bien plus du service public que de la startup.

Pourquoi, nous, Une autre ville, essayons (avec grandes réussites célébrées et petits ratés) de nous apporter du soin les un.es les autres ?
De notre côté, cela fait quelque temps que nous essayons de faire de la place au soin dans notre travail, sans le nommer toujours ainsi. Le fait d’en discuter, pour une fois, nous a fait prendre conscience de pourquoi, si c’est important, ce n’est pas toujours facile.
Nous essayons de prendre soin de nous : avec des temps d’équipe auxquels nous accordons beaucoup d’attention, et des parenthèses d’écoute active à un rythme hebdomadaire. Cependant, pour être honnêtes, ces moments sont aussi les premiers à sauter quand les temps de productions s’étirent et que la nécessaire rentabilité du quotidien professionnel se rappelle à nous. Avec du recul, c’est loin d’être la décision la plus tactique : on se sent bien mieux après s’être senti.e écouté.e et compris.e dans le tumulte d’une semaine abîmée par une charrette qui déborde.
Nous essayons de donner de la valeur à ce temps, qu’il est pourtant si difficile d’évaluer. Parce que d’ordinaire, le temps du soin se donne plutôt qu’il ne se compte, il se pare d’une connotation gratuite quand bien même il s’agit d’un vrai travail !

Conclusion
Si nous nous accordons à dire que la maintenance est capitale, elle reste épineuse voire ingrate, dans sa mise en œuvre, comme dans sa mise en valeur. Comme le dit Hannah Arendt, la maintenance, c’est l’inverse de la politique. Quand celui ou celle qui maintient ne s’appartient pas et essuie toujours la même poussière, la politique est la capacité à initier quelque chose ensemble : commander, c’est aussi commencer.
A notre échelle, nous faisons le choix de dépasser ces poncifs aux effets de réalité très puissants, en étant responsables de nos choix, en étant la raison de nos actes. Maintenir ne nous empêche pas pour autant de décider collectivement de ce dont nous prenons soin, et de ce que nous choisissons de jeter à la poubelle (de recyclage, de préférence).

Morale : le soin, le réemploi, c’est joyeux et pas monotone.
Morale bis : le soin, ce n’est pas payé, ça prend du temps, et ça implique de produire moins. Road to la décroissance matérielle ?

 

P'T Rex | Le soin aux choses

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